Les squelettes du placard (Twigg)

Twigg c'était réveillé de bonne humeur, ce matin. La semaine avait été infernale, comme prévue... mais au moins maintenant il pouvait s'autoriser le luxe de se reposer. Il avait prolongé de quelques jours sa période de convalescence auprès de l'académie, expliquant qu'il avait eu besoins de déménager et qu'il voulait pouvoir se consacrer entièrement à sa charge lorsqu'il recommencerait à s'entrainer. Il ne s'agissait toutefois évidemment pas de journées de congé! Une fois l'appartement trouvé il y avait eu bon nombre de petites réparations à faire, la peinture à faire, les meubles à dénicher, les différentes fournitures manquantes à se procurer... rien n'était difficile, mais l'ensemble avait nécessité tellement de temps et d'énergie que si Émilia n'avait pas été là Twigg n'y serait tout simplement pas arrivé.

Hier il avait eu, pour la première fois depuis très longtemps, une journée entièrement libre... et la seule à laquelle il aurait droit, compte tenu qu'il entrait de nouveau officiellement chez les White Lances dans quelques heures. Il en avait profité pour passer du temps avec celles qui partageaient maintenant tout avec lui... simplement passer du temps avec elles. Ce n'était pas une activité à laquelle le militaire était habitué, ni à laquelle il excellait... mais heureusement pour lui Mary et Émilia savaient pertinemment, chacune de leur côté, ce qu'ils voulaient faire de ce temps qu'elles considéraient comme si précieux.

Thorry s'était réveillé juste un peu avant les filles, Émilia dans ses bras et Mary blottie contre lui. Trouver un lit à la petite avait été l'une de leur première tâche... mais force était de constater qu'à cause de ses cauchemars elle l'utilisait plutôt rarement. Il était resté immobile à fixer le plafond fraichement repeint, écoutant la respiration profonde et régulière de sa compagne et celle, plus légère, de sa protégée. Il ne voulait en aucun cas interrompre ce moment, mais elles finirent pas se réveiller d'elles même. Comme elles savaient qu'elles n'auraient pas Twigg pour elles au courant de la journée elles s'étaient planifié une petite sortie à la bibliothèque du district pour aller se procurer quelques livres... Après un rapide déjeuner Twigg s'était donc retrouvé seul dans son nouvel appartement. Et pour la première fois de sa vie cela lui fit une impression étrange.

Il venait tout juste de sortir de la douche quand Il entendit les coups vigoureux frappés à sa porte... Il termina d'attacher son pantalon, s'apprêtant à refaire son bandage au ventre avant d'aller répondre quand la voix d'Eva retentit. Quelque chose n'allait pas... Abandonnant tout, le militaire se précipita vers la porte et l'ouvrit rapidement pour laisser son amie entrer. Elle n'avait pas besoins d'attendre son autorisation pour entrer, aussi se contenta-t-il de la laisser passer et de refermer la porte derrière elle. Il mit immédiatement le verrou en place et se retourna vers la jeune femme. Il prit un moment pour bien la regarder et constater dans quel état elle se trouvait. Il lui désigna l'une des chaises autours de la table.

"Assied-toi. Reprends ton souffle et tes esprits... dis-moi ce qui se passe."

Pendant qu'Eva tentait de reprendre son souffle Twigg s'était rapidement diriger à la cuisine pour verser lui verser un verre d'eau. Il revint, une inquiétude toute justifiée sur le visage, et tira lui aussi une chaise pour s'asseoir face à son amie.

Il écouta sans réagir ses premières phrases, mais se crispa immédiatement dès qu'elle annonça les raisons de sa venue. Sans le vouloir son visage s'était durcis et il s'était levé instantanément. Il se dirigea d'abord vers la porte pour mettre en place les quelques loquets supplémentaires (après ce qui s'était passé à son premier appartement, il avait prit quelques précautions) et ensuite vers la fenêtre. Il regarda longuement à l'extérieur, puis tira les rideau et revint s'asseoir près de la médic. Il semblait rassuré, bien que la tension qui habitait son corps n'ai aucunement disparue.

"S'il t'avait suivit il serait déjà là... Je crois que tu peux respirer maintenant."

À ses mots il recommença lui-même à respirer normalement. Il avait eu réellement peur pendant un moment... C'était encore une fois un sentiment nouveau, sans aucun doute dût au fait qu'il n'était plus seul dans cet appartement. Émilia et Mary n'auraient probablement pas bien réagit s'ils étaient revenues et qu'un cadavre d'inquisiteur décorait le plancher. Il s'avança sur sa chaise et posa sa main sur l'épaule d'Eva.

"Tout va bien... tu es en sécurité. Maintenant explique-moi: pourquoi ne doivent-ils pas mettre la main sur toi?"

Il y avait un peu d'inquiétude dans les yeux de Twigg. Beaucoup de gens craignaient l'inquisition, mais de là à fuir un de ses membres... il avait le sentiment que la réponse de son amie ne serait aucunement rassurante.

Eva regarda le verre d'eau posé sur la table et fit un sourire résigné. Elle le repoussa un peu et laissa Twigg revenir s'asseoir devant elle..

-Thorry, je ne peux pas boire comme toi... fit-elle navrée.

Elle tenta de trouver les bons mots et resta dans un silence timide. Elle jouait avec ses mains... elle avait été stupide de venir ici l'inquisiteur aurait pu la suivre et elle aurait pu les mettre en danger.

-J'ai fais plusieurs détour pour ne pas qu'il me suive... Thorry on ne doit pas me demander mon identité parce que j'en ai pas. Eva n'existe pas.. mon vrai nom c'est Dezba Imala.. et Dezba Imala est dans les fichiers nécrologique depuis 1 an... je suis revenue à la vie 6 mois plus tard.. avec ce corps rempli de chose robotique... que ferais l'inquisition d'une personne comme moi tu penses?

Eva avait levé son regard bicolore sur lui. Tout ce qu'on pouvait y lire était a quel point elle était navrée.

Le militaire resta immobile et silencieux jusqu'à ce qu'Eva ai terminé de parler. Il s'affala un peu plus profondément sur sa chaise, ramenant lentement le verre d'eau jusqu'à lui. Il faisait de son mieux pour digérer ce qu'on venait de lui dire. Dezba... il avait déjà entendu quelqu'un prononcer ce nom. Arès? Quoi qu'il en soit la situation était plutôt claire, à présent... incroyablement noire, mais claire. Quel avenir y avait-il pour une morte dans le district? Il prit finalement le verre dans sa main pour prendre une longue gorgée d'eau. Il s'était détourné, mais revint assez rapidement vers Eva pour remarquer le regard d'excuse qu'elle lui lançait. Il se redressa aussitôt et posa vigoureusement sa main sur celle de son amie.

"Ils ne t'attraperons pas. Pas aujourd'hui... Tu as bien fais de venir ici."

Le sourire un peu crispé du militaire laissait beaucoup de place à l'interprétation... mais il semblait sincère. Twigg aurait croisé le fer sans hésiter avec n'importe quel organisation du district pour protéger Eva... mais l'inquisition était une toute autre affaire. Il était déjà sur leur liste, il s'était même vu attribué une marque de dangerosité! Il restait un citoyen modèle... mais il se doutait que certains inquisiteurs n'attendaient qu'une occasion pour déterrer tout ce qu'ils pouvaient trouver à son propos. Il soupira, heureux que la situation ne soit pas plus tendue. Il en aurait été tout autrement si un inquisiteur était en train de frapper à sa porte!

"Je crois que tu devrais rester ici un petit moment... je pars pour l'académie tout à l'heure: je te déposerais où tu veux à ce moment là."

Il regarda un instant son amie, et eu un sourire triste.

"Tu m'as parlé un peu de toi... mais je ne savais pas du tout qu'Eva n'était pas ton vrai nom."

Twigg soupira gravement.

"C'est jamais comme ça qu'on s'imagine partir..."

Il esquissa toutefois un maigre sourire.

"Et quand on sait pertinemment que c'est là qu'on va crever, une cyborg aux cheveux bruns sort de nul part pour nous enlever toutes nos illusions!"

Il ne dit ensuite rien pendant un moment, trop occupé qu'il était à constater que même si il connaissait maintenant très bien Eva... il ne savait pour ainsi dire rien de son passé. Il avait toujours considéré le sujet un peu tabou, se doutant bien qu'il n'était peut-être pas agréable de remuer le couteau dans une plaie aussi récente. Peut-être était-ce le bon moment pour poser quelques questions? Il haussa un sourcil.

"Ta vie dans le 11? Tu n'es pas née dans le 6 ?"

Le militaire écoutait attentivement, ne voulant pas interrompre cette sorte d'état dans lequel Eva se trouvait. Pour une fois elle semblait envisager le passé sans qu'il y ai de douleur... du moins pas aussi vive que d'habitude.

"Je ne me suis jamais rendu dans un autre district... Déjà à proximité du 7, pour le filer un coup de main avec une colonie mutante particulièrement agressive, mais je n'y suis jamais entré."

Thorry savait que c'était le bon moment pour poser des questions... mais lesquelles?

"Mexico, hein... Combien de temps y-a-tu vécût? C'est là-bas que tu t'es mariée?"

Twigg faillit se mordre la langue. Ce n'était peut-être pas la question la plus délicate comme entrée en matière... pour lui la limite entre ce qui était permis et ce qui ne l'était pas était encore un peu trop floue. Il se croisa les doigts en espérant ne pas avoir offensé son amie en lui posant une question aussi directe.

Le militaire prit un moment pour enregistrer soigneusement tout ce que la cyborg lui disait. Lentement, plusieurs pièces manquantes du passé d'Eva se mettaient en place dans l'esprit de Twigg.

"Mais... pourquoi t'es partie? Je veux dire...tu étais pourchassée? tu fuyais quelque chose?"

Thorry s'était arrêté tout d'un coup, comme s'il venait de réaliser la situation dans laquelle il se trouvait.

"Écoute Eva... enfin Dezbba... je... je te respecte énormément. Si je m'aventure là où je ne dois pas aller, ou simplement si tu ne veux plus parler je comprendrais parfaitement. Je ne suis pas obligé de savoir."

Il avait avancé sa main pour la poser sur la table, près de celle de son amie. Il tenait énormément à cette amitié, ne voulant en aucun cas qu'une erreur aussi banale qu'une question mal placée vienne l'entacher.

Le militaire avait tout écouté dans un silence presque religieux. La jeune femme plaçait beaucoup de confiance en lui pour s'ouvrir ainsi et il voulait se montrer à la hauteur de ce sentiment.

Toutefois... ce qu'Eva lui apprenait était troublant. Un protocole d'autodestruction existait pour une ville entière? Déjà cette épreuve n'avait pas dût être évidente à traverser, elle avait ensuite dut marcher plus de trois mille kilomètres en regardant son père et son maris mourir... Twigg avait beau chercher dans ses souvenirs à la recherche d'une expérience pouvant lui donner ne serait-ce qu'une infime idée de ce qu'elle avait traversée, il ne trouvait que de pâles comparaisons. Sous son regard d'ange, l'infirmière portait probablement autant de cicatrices que lui, en fin de compte...

"J'imagine.. enfin, je veux dire... j'imagine que le district l'a avalé. Comme toi, en quelque sorte..."

Le militaire poussa un soupir. Il imaginait très bien la scène... il aurait peut-être sourit si la situation n'avait pas été aussi tendue. Dès qu'il avait été de nouveau mention de l'inquisition Eva put voir les épaules et les mains du militaire se crisper sensiblement...

"Je... je suis désolé pour ta mère. Même si ton deuil doit déjà être fait, je..."

Il s'arrêta, ne trouvant pas les mots pour décrire ce qu'il voulait exprimer à son amie. Son esprit n'y était plus. Il réfléchit un peu à ce qu'elle lui avait dit en dernier lieu. Matiel... ce nom ne lui disait rien et c'était peut-être mieux ainsi. Mais pour une raison qui lui apparaissait maintenant évidente il le garda précieusement en mémoire. Connaissant le karma du militaire il y avait de très fortes chances qu'il soit un jour amené à rencontrer de nouveau quelques uns des membres de l'inquisition. Lentement il alla chercher le regard d'Eva. Une lueur étrange sévissait dans son œil...  

"Si un seul de ces bâtards porte encore la main sur toi je te jure qu'il va le regretter. Amèrement."

Durant une fraction de seconde, la médic put presque voir dans le reflet de l'oeil noir du militaire le reflet de sa pensée... En cette simple phrase Eva avait l'intégralité de la pensée de Twigg par rapport à l'inquisition. Cette manière qu'il avait de crisper la mâchoire en disait long sur son ressentiment par rapport aux membres de l'Ordo Justicar, ressentiment qu'Eva devinait fondée par bien des évènements.

Le White Lance n'avait eu qu'une seule rencontre avec l'ordre... mais ils allaient s'en souvenir longtemps. Disons simplement qu'ils avaient oublié de considérer Twigg autrement que comme leurs victimes habituelles. Soudain conscient de la violence dont il avait fait preuve, il eut un petit sourire d'excuse avant de baisser le regard.

Le militaire ne répondit pas tout de suite, supportant l'examen d'Eva sans même cligner des yeux. Elle avait effectivement touché une corde très sensible... Mais après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble elle avait effectivement le droit de savoir. Elle lui avait donné la preuve d'une grande confiance en lui partageant son passé... Il était maintenant à lui d'en faire de même. Il prit une grande inspiration, essayant de trouver les mots pour décrire cette soirée...

"J'ai jamais aimé l'inquisition. Comme a peu près tout le monde dans ce district... J'ai été témoins de beaucoup trop de leurs "démonstrations" publiques. J'étais à chaque fois outré, dégoûté, révolté... Mais je ne disais rien... je ne faisais rien... et je m'en suis voulu très longtemps de pas pouvoir intervenir, à un point tel qu'à un certain moment je souhaitais que ce soit à mon tour d'y passer. Histoire de voir ce qui se passerait."

Le White lance fit une longue pause. S'il avait eu de la difficulté à regarder Eva jusqu'à présent il fuyait à présent son regard. Il était toujours extrêmement difficile pour lui de parler... il baissa son regard vers ses mains.

"Tu connais l'adage, hein? "Faut faire attention à ce qu'on souhaite"..."

Il trouva enfin le courage nécessaire pour regarder son amis. Il s'agissait d'une nouvelle honte refaisant surface...

"Je venais tout juste de me remettre d'une blessure et je recommençais mon entrainement avec les White Lances. J'ai pensé célébrer ma première semaine de retours en m'offrant un verre ou deux de Whisky à une taverne près de l'académie. J'en avais besoins... Mais au courant de la soirée trois types habillés en noir se sont pointés en agitant leurs badges de l'inquisition comme si c'étaient des armes... Ils étaient à la recherche d'un mutant en cavale, un membre de l'académie ayant eu droit à une dose de radiation trop forte lors d'une expédition. Ils ont fouillé assez brutalement le bar... inutile de dire qu'ils m'ont remarqué."

Eva sentis les mains du soldat se crisper et il les retira rapidement de sous les siennes. Sans qu'il le veuille l'une d'entre elles s'était réunis en un poing.

"Ils m'ont littéralement trainé à l'extérieur... Je n'ai pas résister pour ne pas créer de problème aux autres clients, et je savais qu'aucun d'entre eux n'oserait lever le petit doigt pour les empêcher de m'emmener: c'était pas de leurs affaires, ils n'auraient réussit qu'à se mettre dans le pétrin. Je ne leur en veut pas: j'aurais fait pareil. Seulement... j'avais encore l'espoir qu'il était possible de les raisonner. Ils m'ont trainé dans une ruelle et m'ont foutus à genoux. J'avais mes papiers, tout était en ordre... mais j'ai appris à la dure que beaucoup trop de faux papiers circulent pour que cela constitue une preuve. De toute façon, ils préfèrent ne pas prendre de chance."

Sans avertissement le militaire se leva, se dirigeant lentement vers le bout de la table. Il restait de dos à la médic... Le souvenir de ce qui s'était passé était encore très frais dans sa mémoire.

"L'un d'entre eux à sortit un revolver et il m'a tiré une balle dans la jambe. Puis il m'a récité un truc qui commençait par "En vertus des pouvoirs qui me sont conférés par l'ordo justicar..." et bla bla bla avant de me tirer une deuxième balle, dans l'épaule. Toutes les "démonstrations" publiques auxquelles j'avais assistées me sont revenus en tête... et c'est là que je me suis rappelé soudainement qu'ils avaient l'habitude d'exécuter ainsi des femmes, des mutants trop dégénérés pour se tenir debout, des zoomorphes battus et dégradés... et qu'ils venaient enfin de s'attaquer à quelqu'un de leur taille."

Il sa passa lentement une main dans le visage, grattant au passage le chaume qui couvrait ses joues. Il se retourna, et regarda à nouveau son amie. Elle avait déjà vu ce regard... lorsqu'il s'était enquis de l'état des trois hommes qui gisaient près de lui la première fois qu'ils s'étaient rencontrés.

"Je leur ai fait comprendre l'immensité de leur erreur... J'ai... j'ai perdu la carte. Quand... quand j'ai repris conscience j'étais dans un état lamentable et j'avais du sang partout. Une bonne partie n'était pas le mien."

Il ne tenait manifestement pas à entrer dans les détails... mais la vision du cadavre d'Axel laissait à la médic tout ce qu'il fallait pour avoir une idée du carnage. Ne voulant pas lui laisser le temps d'imaginer ce qu'il avait fait subir aux inquisiteurs il enchaîna.

"L'ordo Justicar n'a pas porté plainte quand ils se sont rendu compte de la situation... j'étais un militaire, un vétéran White Lance, un "héro de guerre". Beaucoup trop de gens étaient maintenant au courant de l'affaire pour qu'ils puissent la régler comme ils l'entendaient au départ. J'ai pas réentendus parler d'eux depuis, mais je sais qu'ils m'ont à l'œil... et quand j'ai fait renouvelé mes papiers j'ai eu l'agréable surprise de découvrir qu'une marque de dangerosité avait été ajoutée."

il se rassit, reprenant exactement la position qu'il avait au départ. Loin de le soulager le partage de ce souvenir faisait remonter des émotions douloureuse à la surface de l'esprit de Twigg... mais il semblait être en mesure de les contenir.

"Ils sont humains... ils saignent exactement de la même manière que ceux qu'ils trainent en "justice" tout les jours. Qu'ils s'en prennent à moi est une chose... mais s'ils osent toucher à une personne qui m'est chère..."

Il ne finit pas sa phrase, se doutant bien qu'Eva savait ce qu'il s'apprêtait à dire. Il ferma les yeux et calma sa respiration. Sa haine envers l'inquisition grandissait à chaque nouvelle injustice qu'ils commettaient... mais elle ne connaîtrait plus aucune limite si des hommes en noir levaient la main sur l'une des trois femmes se trouvant sous sa protection.

Le militaire se saisit de la perche que lui tendait Eva comme un noyé d'une bouée. Tous ces discours sur l'inquisition étaient bien beaux... mais au final il ne servait à rien de s'y attarder. Pas encore. Tant que l'organisation continuerais de faire régner la peur dans le district ce genre d'attitude ne ferais que retourner le fer dans la plaie. Eva avait agit promptement et avait rattrapé le militaire juste à temps avant qu'il ne bascule définitivement dans la morosité. Il n'y avait aucun risque pour qu'il perde le contrôle... pas dans ce genre de situation. Twigg fit un sourire fatigué à Eva et prit une grande inspiration.

"Mary va mieux... Elle fait encore beaucoup de cauchemars mais on dirait bien qu'elle réussit à faire tranquillement le deuil de sa mère. Sa blessure se referme bien: on devrait pouvoir la laisser tranquille la semaine prochaine."

Le militaire poussa un soupir doux-amer.

"On dirait que je reste surpris de la voir en un seul morceau chaque matin après tout ce qu'elle a traversée. Si au moins elle avait pu dire au revoir à Laurence, elle s'en sortirait probablement un peu mieux... Mais elle va s'en remettre. Elle est jeune, en bonne santé, et bien entourée. Émilia se remet vraiment très vite de sa vie avec Axel et de ce qui lui est arrivé... "

Le regard du militaire se perdit dans le vague un bref instant. Un petit sourire qu'Eva n'avait encore jamais vu chez lui éclaira son visage.

"Elle... elle est vraiment très forte. Je ne parviens pas à exprimer tout ce qu'elle m'apporte: sans elle je ne sais pas comment je me serait débrouillé avec l'appartement, avec Mary..."

Thorry pouffa de rire, serrant les mains de la médic qu'il n'avait toujours pas lâchées.

"C'est pas exactement le genre de situation que je m'attendais à devoir gérer un jour... mais compte tenu de l'ampleur de la marche que j'ai dût grimper les choses se déroulent plutôt bien."

Le militaire frissonna, se rendant compte qu'il était encore torse nu. Ce faisant il se rendit aussi compte qu'il avait totalement oublié de refaire son pansement. Le trou laissé par la balle dans son ventre n'était pas encore tout à fait refermé... Sans plus de cérémonie il se leva, se dirigeant vers la salle de bain pour attraper sa trousse de premier soins et sa chemise. Il revint ensuite près d'Eva, déballant lentement tout ce qu'il lui fallait.

"Tu m'aides un peu avec ça? J'y arrive seul, mais tant qu'à t'avoir ça ira beaucoup plus vite avec une deuxième paire de main!"

Un peu comme la médic lui avait fait, il voulait donner une occasion à son amie de se changer les idées.  

"Et sinon... Avec Michael, tu survis? Il t'autorise encore à sortir?"

Le ton était à la blague... mais la question était tout de même posée sérieusement.

Twigg enfila délicatement une chemise quand Eva lui donne la feu vert. La blessure guérissait, mais avec le militaire chaque égratignure était à prendre au sérieux... Il n'avait pour ainsi dire aucune protection sous sa peau: une coupure le moindrement profonde atteignait tout de suite les fibres musculaires et mettait donc beaucoup de temps à se refermer. Le fait qu'il n'ai pas arrêté de bouger ses derniers jours expliquait probablement qu'elle ne soit pas encore tout à fait refermée.

Thorry écouta ce que lui dit son amie... mais pas exactement de la manière dont elle devait s'y attendre. Il connaissait presque tout ces détails: Émilia les lui avaient dit... Par contre elle avait soigneusement éviter de répondre à sa question et ce détail ne lui échappa pas. Une fois son dernier bouton attaché le militaire planta son regard dans celui de la jeune femme.

"C'est si pire que ça?"

Il se rassit pesamment sur sa chaise, sans quitter son amie du regard.

"C'est pas de mes affaires et j'ai probablement aucun conseil à te donner... mais si t'as été dans un tel pétrin c'est à cause de moi. Michael devrait pouvoir comprendre ça, non?"

Il attendit la réponse d'Eva. Si elle n'avait pas envie d'en parler il ne pouvait rien y faire... Mais il aurait deux ou trois mots à dire à Michael la prochaine fois qu'il le verrait. Il fallait connaître Eva pour savoir qu'elle ferait n'importe quoi pour venir en aide à un être cher... et il fallait encore mieux la connaître pour savoir que rien ne pouvait l'en empêcher.

Thorry avait regardé Eva bouger, attendant patiemment d'avoir l'occasion de dire quelque chose. Il ne voulait pas l'interrompre, il ne voulait pas la brusquer... Il ne pouvait qu'imaginer la précarité de la situation dans laquelle elle se trouvait. Le militaire ne put toutefois pas s'empêcher de sourire. Il était peut-être une vraie cruche côté relation sociales, mais il avait acquis un certain talent pour reconnaître la valeur de quelqu'un... Et les tendances surprotectrices du réceptionniste ne lui avaient pas échappées au point qu'il soit surpris d'apprendre qu'Eva avait choisis de lui cacher la vérité. Toutefois... Le militaire se leva de nouveau et s'approcha de la médic pour poser ses mains sur ses épaules.

"Eva... t'as un caractère de cochon. Un caractère noble, mais un foutus caractère. Je ne te connais peut-être pas aussi intimement que Michael, mais je peux avancer avec certitude que si il n'est pas capable de gérer ton "altruisme" à tout épreuve il y a beaucoup de complications à l'horizon."

Il soupira. À bien y réfléchir il n'aurait peut-être pas dût aborder le sujet. Il retira doucement l'une de ses mains... mais ne put se résoudre à laisser aller la seconde. Pas maintenant.

"Jusqu'à maintenant t'as été chanceuse, dans un certain sens. Mais que vas-tu faire le jour où tu va devoir rentrer chez toi après avoir prit une balle quelque part? Ou un coup de couteau?"

De nombreux souvenirs revenaient encombrer l'esprit du militaire... ce genre de chose était en bonne partie la raison de son inquiétude face à sa situation actuelle. Revenir chez sois en étant blessé est une chose. Le faire et devoir affronter le regard des autres en est une autre. Il n'avait plus de contact avec ses parents depuis des années parce qu'ils ne pouvaient supporter de savoir que leur fils risquait sa vie chez les White Lances... Lentement Twigg laissa aller la jeune femme, retirant sa deuxième main. Il avait encore beaucoup de choses à dire à son amie... mais il ne voulait en aucun cas la forcer à parler. Aussi attendit-il de voir comment elle réagirait.

La médic fit volte face si rapidement que ses cheveux volèrent dans un cascade de cheveux bruns. Elle planta son regard dans celui du militaire et ne bougea pas. Elle ne fit que le regarder et ne cligna pas des yeux. Durant quelques secondes elle eut l'air complètement inanimé.

Son petit visage à la peau parfaite et au teint de porcelaine. Son oeil bleu et son oeil rouge immobile. L'immobilité dura quelques instants et elle cligna des yeux quittant finalement le regard de Twigg pour regarder ses pieds.

-Je ne sais pas comment il va réagir.. et toi comment agirais-tu?

Eva haussa les épaules et risqua un vague oeil sur le militaire. Elle avait terriblement rougit.

-Lorsque je t'ai soigné et apprit a te connaître j'ai.. j'ai eu des sentiments pour toi.. tu ressembles tant à Jason.. mais.. tu étais si difficile d'approche que j'ai pensée que tu m'en voulais de t'avoir sauvé de la mort... il y a des moments ou je me demande si Michael a les nerfs assez solide pour m'avoir comme compagne...

Eva serra les poings.

-Excuse moi je n'aurais jamais du t'avouer ça Thorry... souffla t-elle d'un souffle sans hausser la voix. Comme des paroles qu'on échappe.